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dimanche 26 février 2012

Réflexions sur les ONG et l’aide aux enfants

Après 1 mois ici, je commence à mieux comprendre le monde de « l’humanitaire », en l’occurrence celui du développement (qui est je crois bien différent de celui de l’urgence qui répond aux situations d’urgence ou imprévues type guerre ou catastrophe naturelle). J’ai profité de ce w-e tranquille à PP pour me poser sur le sujet et écrire ce qui sera sans doute mon + long message (désolé!)…

En vrac voici des questions que certains m’ont posées ou que j’ai pu me poser:
Est-ce vraiment utile ce que font les ONG? N’est-ce pas juste une goutte d’eau ? Le parrainage c’est bien ? Comment récoltez-vous vos dons ? Comment les dépensez-vous ? Est-ce bien logique que les ONG aient des 4x4 ? Les salaires des expats humanitaires sont-ils indécents ? Est-ce qu’il faut montrer la misère ou la détresse pour faire vendre ou avoir des dons? Faut-il visiter les orphelinats ? Faut-il donner de l’argent aux enfants? Comment peut-on aider efficacement ? etc…
Je vais essayer d’y répondre, mais je suis loin de prétendre avoir tout compris, et je me trompe peut-être. Et bien sûr j’espère ne pas paraître « donneur de leçon » mais plutôt nourrir la réflexion sur un sujet délicat…

Pour commencer, je dirai qu’ici il y a beaucoup d’ONG ou de structures qui se disent « aide au développement ». J’ai envie de croire que toutes ont une mission sincère, mais j’ai cru comprendre que beaucoup sont aussi là pour « faire de l’argent » sur le dos de ceux qui ont besoin d’aide… Bref, avant de "donner", il faut effectivement bien s’assurer que l’argent est bien utilisé et si possible en respectant ses valeurs, ce qui n’est pas simple… Je pense que les grosses structures mondialement connues sont gages de qualité (et sont sans doute bien « surveillées »), même si certaines doivent avoir des frais de structure/administratifs très élevés. Beaucoup de petites associations sont également top, évidemment. Certaines ONG font sans doute du prosélytisme, d’autres défendent telle ou telle philosophie avec laquelle on est plus ou moins d’accord… bref difficile de se forger sa propre opinion ! Lire les rapports est une première étape, mais voir sur le terrain ou récolter des avis par ex sur les forums est encore plus instructif. Et beaucoup savent « séduire » le chaland avec de la poudre aux yeux « marketing »…

Le salaire des expats varie énormément d’une organisation à une autre. Je crois par ex que les agences de l’ONU paient très (trop?) bien leurs expats, vs par ex ce qui est offert chez Friends ou Khrousar Thmey (autre belle ONG cambodgienne dont je reparlerai plus bas) qui essaient de réduire au max les frais administratifs. Et oui, certains gagnent très bien leur vie en ayant un job "utile qui peut donner bonne conscience". Mais ces jobs sont difficiles à obtenir (j’ai vu des "pointures" très bien diplômées, les places sont disputées), et j’espère que ceux qui les obtiennent sont motivés et efficaces… J’ai aussi compris que beaucoup veulent faire ce boulot-là et aider au développement, mais qu’ils veulent aussi bien vivre et assurer leurs arrières, et ça me paraît normal et pas forcément antinomique… Certains voient des choses difficiles, gèrent des problématiques complexes ou vivent dans des coins paumés, et pouvoir « compenser » par des w-e ou des sorties au resto fait aussi partie de l’équilibre de vie, qui est propre à chacun. Beaucoup font je pense attention à ne pas exposer leur « richesse » devant ceux qu’ils aident. Je ne suis donc pas choqué si des employés de l’Unicef par ex sont payés ici comme nous à Paris (je n’en sais rien d’ailleurs), à partir du moment où ils sont très bien qualifiés, que leur job est efficace et qu’ils respectent certains valeurs notamment vs la population locale…
Se passer au maximum des expats et former des locaux est aussi un objectif essentiel pour beaucoup d'ONG: quelques expats seulement chez Khrousar Thmey, une dizaine chez PSE, 0 chez Mith Samlanh qui est entièrement gérée part des Cambodgiens...

Quant aux 4x4 je crois que c’est un débat sans fin et sans réponse simple. Oui c’est choquant de voir des 4x4 Croix Rouge ou ONU dans des pays pauvres. Mais je veux croire qu’ils sont souvent utiles aux déplacements (dans bcp de pays les routes sont en piteux état même si le réseau s’améliore sans doute très vite). Et je comprends que ça puisse faire partie du confort dont ont besoin certains pour assurer leur mission j’imagine (cf l’équilibre évoqué plus haut). Beaucoup d’ONG n’ont en revanche pas ces fameux 4x4 flambant neufs. C’est le cas de Friends par ex (nous avons un tuc tuc pour le siège!). Mith Samlanh utilise de vieux 4x4 offerts par des donateurs (et pour aller dans certains coins, même à PP, il vaut mieux avoir un 4x4 sinon on ne passe pas). Bref s’ils ne sont pas nécessaires je suis contre les 4x4, car l’argent peut évidemment servir à autre chose… mais si la situation le demande alors oui il en faut (mais sans doute pas le dernier cri de chez Lexus). « L’image » des ONG apportant du fric dans la région où elles s’installent ne va cependant pas disparaître de sitôt.

Venons-en à l’utilisation des fonds (sur le terrain)…  J’imagine que la plupart des ONG travaillant au développement partent du principe qu’il vaut mieux aider les populations à s’en sortir toutes seules que de leur donner des fonds comme ça… C’est le fameux proverbe du pêcheur (je ne le connais pas par cœur mais en gros mieux vaut apprendre à pêcher qu’offrir du poisson). D’où la multitude de projets d’éducation pour toutes les ONG travaillant auprès des enfants (mais ce principe est valable pour l’écologie, la santé etc…). Par ex la mission de Friends est « together, building futures » avec l’objectif de réinsérer les jeunes dans le système éducatif, d’offrir des formations utiles qui débouchent sur des métiers… Pour compenser les revenus qu’apportaient les enfants qui travaillaient et pour que leurs parents les laissent venir chez nous, nous essayons aussi de former leurs parents à obtenir leurs propres revenus (via des micro-entreprises par ex) ou nous les embauchons dans nos ateliers.  PSE (Pour Un Sourire d’Enfant, très grosse ONG cambodgienne) forme également des milliers d’élèves, offre des formations de qualité, et essaie d’embaucher les parents dans les ateliers ou à la cantine. Khrousar Thmey a aussi un gros programme éducatif, notamment pour les sourds et les aveugles (l’association a effectué un formidable travail pour aider ces jeunes pour qui rien n’existait et qui étaient en marge du système).

Alors oui on ne traite que quelques centaines ou milliers de familles… est-ce une goutte d’eau ? certainement ! mais c’est déjà beaucoup… et même si la situation ici a dû bien s’améliorer ces dernières années, il reste encore tant à faire. Bien sûr les gouvernements pourraient /devraient + jouer ce rôle d’aide. Mais les sociétés évoluent vers des systèmes qui ne permettent pas au gouvernement de traiter tous les cas, et les ONG ont alors un rôle essentiel pour des millions de personnes, malheureusement (en France aussi les associations qui aident ceux qui en ont besoin remplissent une mission complémentaire à l’action publique). Et c’est encore plus criant dans les pays qui n’offrent pas d’aide sociale ou qui sont en développement.

Les dons et le parrainage…
Là encore beaucoup de façons de faire et des opinions divergentes… Le parrainage individuel peut être très utile et efficace, tout comme il peut être détourné ou créer des complexités sur le terrain pour pouvoir envoyer régulièrement des news au parrain et ne pas le frustrer… Ceux qui reçoivent un parrainage individuel ne sont pas toujours ceux qui en ont le plus besoin, mais comment le savoir quand on est en France et qu’on voit une photo d’une petite fille avec des habits déchirés sur une route en latérite ? Là encore des organisations font très très bien les choses et le parrainage est utile et efficace, d’autres sans doute moins, et pour attirer les donateurs, les artifices sont nombreux… En tous cas c’est un des moyens les plus efficaces pour « séduire » le donateur… même si la réalité du terrain pourrait pencher sur des parrainages de programme par ex…

Quelle part du budget faut-il allouer à la recherche de dons ? Comment boucler les budgets?
Imaginez le budget communication de certaines ONG en France, ainsi que celui destiné aux mailings (x courriers par an dans notre boîte aux lettres)… mais si ces institutions le font, c’est qu’au final elles doivent y gagner. 
Autres moyens utilisés pour récolter des dons, notamment par des ONG plus petites qui ne peuvent ou ne veulent pas s’offrir des campagnes de pub :
- PSE a un très gros réseau de bénévoles en Europe qui organise des présentations un peu partout, les fondateurs participant également à ce « Tour de France » ; le fondateur de Khrousar Thmey fait aussi beaucoup de "conférences"
- en plus de 3 personnes à temps plein pour le classique fundraising (constitution de dossiers, prise de contact avec des donateurs ou partenaires potentiels etc…), la stratégie de Friends est de développer ses social businesses (ce qui m’occupe tous les jours ici) pour assurer ses propres revenus, et également pouvoir décider « librement de l’utilisation des fonds ». 
Ce dernier point m’apparaît aussi très important : quand on donne pour une cause ou un programme précis, l’association respectueuse de votre souhait ne peut pas utiliser vos fonds pour autre chose, or les besoins sont peut-être ailleurs, d’où l’intérêt pour les ONG d’avoir des fonds plus libres… Ex concrets : j’avais été marqué par l’appel de MSF qui demandait d’arrêter de donner pour Haïti à l’époque ; chez Friends on récolte des dons pour tel ou tel programme (programme anti-drogue, développement d’un centre supplémentaire etc…), mais il est très difficile d’obtenir des fonds pour le fonctionnement du siège par ex, alors que son rôle est indispensable !
J’ai été surpris par le temps passé pour séduire les donateurs « institutionnels » (fondations d’entreprise ou fonds publics par ex). Remplir des dossiers pour obtenir des budgets est a priori une vraie compétition entre ONG, et une fois que le budget est obtenu, il faut rendre des comptes et cela prend beaucoup de temps, au détriment du travail sur le terrain. C’est un peu paradoxal donc, mais c’est visiblement comme ça que fonctionne le système…

Montrer « la misère » est forcément impactant /touchant et fait vendre. Chez PSE par ex on commence la visite du centre par un film qui montre l’histoire de l’ONG, dont le point de départ est le choc reçu il y a une 20aine d’années d’un couple de Français à la vue des enfants marchant pieds nus et mangeant même des déchets sur la décharge de PP (images faisant partie du film). PSE est maintenant une très belle machine, toujours gérée par ce couple de retraités, qui aide des milliers d’enfants dans le quartier de cette décharge aujourd’hui fermée. Oui en voyant ce film on ne peut que se sentir concerné, et on a envie de donner...
un panneau expliquant l'histoire de PSE
Friends a une autre approche et ne veut pas montrer la misère ni trop exposer les enfants. Nous voulons obtenir nos fonds privés en vendant nos produits fabriqués par les parents, en développant des restaurants où sont formés les étudiants etc... Les 2 approches se tiennent, tant qu’au final on peut aider les enfants de façon efficace, moi je trouve ça bien !

Quant à la visite des orphelinats (ou des écoles), Friends a une position très claire : pensons bien avant de faire ce genre de chose, par ex est-ce que chez nous nous aimerions que l’on vienne prendre en photo les enfants dans nos orphelinats ? Cette position est d’autant plus affirmée que beaucoup de « faux orphelinats » ont été crées pour faire de l’argent… Après bien sûr beaucoup d’orphelinats sont très bien gérés et il ne faut jamais généraliser… La campagne lancée par Friends au Cambodge en partenariat avec l'Unicef:

Contrairement à PSE, Friends n’organise donc pas de visite de son centre. Là aussi il y a du pour et du contre… c’est sûr que si des touristes prennent tous les jours des photos des enfants en train de jouer ou d’étudier ça peut les perturber… De l’autre côté ça permet aussi de montrer l’action de l’association et de récolter plus facilement des fonds… L’équilibre est à trouver ! des visites sans photo ?

Par contre, je suis convaincu, et même si au quotidien c’est difficile et peut-être un crève-coeur, qu’il ne faut pas acheter des produits ou donner de l’argent aux enfants des rues. Cela les laisse + facilement dans la rue (et non pas à l’école) car il y a un marché et certains rapportent beaucoup… Mieux vaut donner aux ONG qui aident justement ces enfants à sortir de cette situation (heureusement il n’y a pas que Friends, mais donnez à Friends si vous voulez !!!)

Bref rien n’est simple, ce qui est sûr c’est que beaucoup d’enfants ici (et ailleurs) ont besoin d’aide, et que nous pouvons tous agir à notre petite échelle. Il n’y a bien sûr pas que les enfants et toutes les causes sont bonnes, mais moi maintenant avant de donner je me renseignerai encore plus sur la structure à laquelle je pourrai apporter mon aide.
Voilà, je sais que c’est un sujet sensible, on en parle quand vous voulez.

Je vous conseille vivement la lecture du livre de « Un humanitaire au Cambodge » de Benoît Duchâteau-Arminjon aux Editions du Pacifique (merci Papa de me l’avoir offert en partant !) et ceci pour au moins 2 raisons : 1. c’est l’histoire d’un gars qui a quitté son job de contrôleur de gestion pour créer une des plus belles ONG du Cambodge « Khrousar Thmey » et il y raconte son parcours et sa vision de l’humanitaire   2. cela permet de mieux comprendre ce que ce pays a vécu… après l’épisode Khmers rouges dont je vous parlerai bientôt.

Pour en savoir plus, les sites suivants sont riches d’enseignements et viennent compléter ce que je viens d’écrire : www.friends-international.org; www.childsafe-international.orgpse.asso.fr; www.krousar-thmey.org
Take care
steph

moi demain soir je vois les Zybos :-) et oui Marine, Fabrice + les 3 petits font un stop à PP avant de visiter Angkor